
À l'origine...
Traçabilité
En 2005, j’ai été contacté par Bernard Dherbecourt, propriétaire de la ferme du Valaine à Etretat, pour faire une animation lors d’un week-end portes-ouvertes où il invitait les gens à venir goûter les chocolats au lait de chèvre de sa fabrication. (sa femme était intolérante au lait de vache, et comme elle aimait les chocolats…) L’idée de faire un Monsieur Loyal ne me plaisant pas vraiment. Je lui ai donc proposé de faire une vache - Marguerite Dupré - qui manifesterait contre les chocolats au lait de chèvre. Tout le monde le sait : les chocolats, c’est au lait de vache !!! L’idée lui a plu.
Ainsi, pendant deux jours, Marguerite a fait le piquet devant la ferme, avec son broc et sa pancarte « Non aux chocolats au lait de chèvre », pour inciter les visiteurs à ne pas gouter à ces chocolats au lait de chèvre. Le personnage a eu un grand impact. Marguerite s’est même retrouvée, au côté d’un bouc, avec sa pancarte et son broc, en pleine page du Paris-Normandie de l’édition du dimanche.
Marguerite, du moins le personnage de Marguerite, était née dans une ferme de chèvres d’Etretat…
Cette même année, je cherchais à écrire un spectacle sur mon histoire. Mon parcours était pour le moins atypique puisque j’étais passé d’ex-futur pasteur à transformiste dans des boites de nuit gays et hétéros en Normandie. A me retrouver certains samedis soir, enfermé dans une minuscule loge avec un gogo danseur huilé, à enfiler des robes à paillettes fendues jusqu’à la hanche, j’imaginais Dieu me regardant avec tendresse et désarroi, et songeais qu’à cette heure, j’aurais dû préparer mon sermon pour le lendemain. L’auditoire de ces boites était bien différent de celui que j’aurais dû avoir le dimanche matin, en robe pastorale noire, non-fendue jusqu’à la cuisse. Dans ce monde de la nuit, je priais malgré tout, demandant au Seigneur de me bénir là où j’étais et d’apporter de la lumière à mon auditoire, perdu pour certains… « Dieu t’aime comme tu es ! ». Ce spectacle donc, se serait appelé « Talons-Eglise », et j’en avais déjà imaginé l’affiche : une Bible posée dans une chaussure rouge à talons.
Plus j’avançais dans mon écriture et plus je trouvais mon seul en scène dur et grave. Mon histoire tournait autour de la difficulté à trouver son identité, de l’homosexualité qui avait été, à l’époque, la raison de mon éviction des études de théologie (c’était encore les années 90), des cases dans lesquelles on veut toujours se mettre pour se définir. J’avais envie d’apporter dans mes représentations de la légèreté et de la lumière, rien de triste… C’est alors que j’ai repensé à ce personnage de Marguerite Dupré. Peut-être, qu’à travers elle, je pouvais évoquer toutes les questions qui me travaillaient tout en prenant du recul pour proposer une comédie à part entière.
Elle était sympathique cette Marguerite, et se posait, elle aussi, des questions sur son identité. Qui état-elle ? Une vache, une femme ? Un personnage mythologique, une modification génétique ? Dans sa campagne normande, elle n’était pas comme les autres vaches. Elle avait de la conversation, elle chantait, elle dansait, alors que ses congénères n’étaient que des bœufs ! A contrario, quand elle était à Paris loin des bœufs, elle n’était pas totalement femme, pas tout à fait comme les autres, et on ne manquait pas de lui renvoyer son origine animale, ses cornes, ses taches, ses sabots… sans parler de ses manières un peu gauches et provinciales.
Cette question de la définition d’une personne, de sa place, de son identité, de sa « case », était au cœur de mon écriture. Par ma sexualité premièrement, ou du moins, par mes pulsions et mes goûts. Jeune, me sentant homosexuel, je n’entrais pas dans la case des hétéros qui m’entouraient. Souvenons-nous que, dans les années 80, et particulièrement dans les collèges, il n’y avait « aucun » homosexuel. Le gay n’existait pas, ou seulement pour servir de souffre-douleur collectif à une masculinité rassurante. Autant ne pas faire partie des victimes ! Et comme tous les concernés se cachaient, il me semblait être le seul à être différent.
Mais ce n’était pas la seule particularité que j’avais. En tant que protestant dans des écoles catholiques, j’étais à nouveau hors normes. Cette identité, je la défendais fermement. En primaire, j’étais le seul à ne pas réciter le « je vous salue Marie », à ne pas faire mon signe de croix et à ne pas prier pour les morts à la première heure de classe. Ce qui me valait les remarques piquantes et méprisantes de certaines institutrices, très peu pédagogues. Grosses vaches !!!
Et puis, il y avait ma famille, très particulière. Mes parents ont adopté 9 enfants. A 6 ans, j’avais une petite sœur Coréenne, ce qui me rendait moi-même bien différent des autres enfants. J’étais fier de ma sœur et le dimanche, quand nous allions manger chez Flunch (grande nouveauté de l’époque) je paradais avec elle sous l’admiration et l’étonnement des clients. Mes parents nous avaient inculqués qu’en dépit de sa différence Coralie était notre sœur à part entière. Et je me chamaillais dans les cours de récréation avec mes camarades qui voulaient à tout prix que ma sœur ne soit que ma demi-sœur !
Parmi mes frères et sœurs, nous avons eu un noir. Congolais mais né à Versailles. Il avait pris de mes parents toute l’éducation bourgeoise et française qui nous caractérisait. Le plus étonnant, c’est qu’il ne se voyait pas noir comme les autres. Quand, adolescent, il a rejoint des formations dans des écoles pleines d’enfants d’immigrés, il s’étonnait : « ils sentent quand même fort les noirs ! » Au-delà du fait qu’il ne comprenait pas que leur odeur venait de leur alimentation riche en épices – alors que lui était élevé à la crème fraiche de Normandie - ce qui m’interpellait le plus dans ses réflexions, c’était de constater qu’il ne se voyait pas comme les autres. Il s’identifiait à tous ses petits amis blancs… Mon frère est le plus Normand des Normands, Normand noir au cœur blanc comme un camembert.
Pour couronner le tout, mes parents ont adopté 3 petites filles trisomiques. La première des trois, Clémence, était très loquace et réactive. Elle est allée en CP toute une année avant de rejoindre une école spécialisée. Sa différence, ce sont les autres qui lui ont fait sentir. Alors quand on lui a expliqué ce qu’était sa différence et la trisomie, elle a su répondre à ceux qui se moquaient d’elle à l’école : « oui, je suis trisomique, mais moi, j’ai un chromosome en plus ! ». Elle avait tout compris : elle avait quelque chose en plus.
Ce sont toutes ses particularités, toutes ces questions autour de l’identité, de la définition d’une personne, du genre, qui m’ont amené à créer Marguerite.
La question de genre et de l’identité est au cœur de nos sujets de société. Gay, bi, trans, non-genré, binaire, binaire-végétarien, sis-agnostique, queer-maghrébin de petite taille… Si nous sommes toujours un peu dérangés par la différence c’est parce qu’elle remet en question nos certitudes. Nous considérons que nous ne pouvons être que ça, ou ça, noir ou blanc, gay ou hétéro, homme ou femme, croyant ou athée… Et si nous étions un peu de tout ça en même temps ! Je peux avoir du mal à comprendre qui est vraiment Marguerite. Mais si j’accepte finalement que Marguerite est Marguerite, qu’elle se définit par ce qu’elle est, qu’elle est sa propre case, qu’elle est un peu vache, un peu animale, un peu Normande mais aussi un peu Parisienne, absolument féminine, et humaine, ça me suffit. A moins qu’elle ne soit qu’une succession de négations : ni femme, ni vache, ni bête, ni génie, ni génisse.
Marguerite n’est ni une Drag Queen, ni une caricature de vache avec des pies saillants comme certains site de costumes les représentent. Elle est Marguerite et nous encourage à être notre propre point de couleur, pour former avec les autres, que nous respectons pour ce qu’ils sont, le plus beau des tableaux pointillistes.